La boxe est-elle un sport ? La question n’est pas si incongrue qu’il y paraît. Toute activité physique n’est pas nécessairement un sport : la catch est un pur spectacle, de même que l’acrobatie ou l’équilibrisme au cirque ; quant aux arts martiaux de tradition, ce sont des disciplines de Soi qu’on distingue habituellement des sports de combat.
Définition du sport
Sans doute, pour décider si la boxe est ou non un sport, faudrait-il se référer à une définition du sport. Hélas, il n’en existe pas. Le sport, c’est un peu comme l’amour : tout le monde voit bien de quoi il s’agit, mais de là à en donner une définition précise... On peut cependant en isoler quelques aspects :
C’est une activité physique. Toute l’attention de celui qui pratique le sport est portée sur l’utilisation la plus performante possible de l’appareil musculaire.
C’est une activité d’opposition. Il s’agit toujours de vaincre un obstacle : un adversaire, le temps, la pesanteur, soi-même...
C’est une activité rituelle. La pratique du sport s’effectue dans un temps donné (vestiaire, action, vestiaire), avec une tenue particulière et des accessoires spécifiques.
C’est une activité narcissique. Le sport a pour but essentiel de valoriser l’individu, le clan ou la nation. Il débouche sur une hiérarchisation des individus (titres dans les compétitions, records).
C’est une activité de jeu. Le sport associe, comme dans l’enfance, un très haut niveau de concentration, de tension et d’intérêt à une absence quasi totale d’enjeu (« pour le sport... »). La recherche de la victoire constitue davantage une motivation qu’un enjeu réel (fair-play ; « l’essentiel est de participer » ; esprit sportif).
C’est une activité sociale. Qu’il soit individuel ou collectif, le sport ne se pratique pas seul. Il met inévitablement le sportif en relation avec les autres, qu’il s’agisse des membres du club, des responsables fédéraux, des autres adeptes dans les compétitions, des supporters ou du public. Le sport est d’ailleurs utilisé dans l’enfance à la fois comme développement individuel et comme apprentissage de la relation sociale. C’est en cela qu’il est un facteur d’insertion (Voir cet article et aussi Raccrocher les gants).
C’est une activité de représentation. La quasi totalité des sports sont une transposition de situations réelles que l’homme vit ou a pu vivre dans sa vie quotidienne, dans son travail (guerre, combat, chasse, course, dressage, lancer, etc.). Tout se passe comme si l’homme, malgré la civilisation, était resté profondément guerrier et chasseur. Le sport lui permet de mener une double vie : l’une actuelle, moderne, l’autre archaïque. Des artifices sont imaginés, un peu comme dans les jeux d’enfant (« On dirait que tu serais le gendarme et moi le voleur »), pour donner une apparence « civilisée » à ce qui est le fond historique de la majorité des humains. On ne combat plus en duel mais on « descend » ses adversaires au tennis ; on ne chasse plus, mais on comptabilise le nombre de fois où la balle a atteint son but au football, comme autant de proies abattues.
On retrouve certains de ces aspects dans la boxe. Alors d’où vient qu’elle soit parfois considérée comme un sport à part, tellement à part qu’elle n’en relèverait pas tout à fait ?
Les composantes du sport
La réponse est peut-être non dans la définition du sport mais dans ses composantes sociales. Depuis son origine, le sport a été tiraillé entre plusieurs tendances :
le divertissement. Vu sous l’angle du jeu, le sport apporte une évasion, une détente, un vécu différent de la relation sociale, la possibilité de mettre en valeur des capacités qui ne trouvent pas à s’exprimer dans d’autres situations sociales, ou de compenser des excès (sédentarité ou intellectualité). C’est le sport-loisirs.
l’éducation. Du fait qu’il mobilise essentiellement les capacités physiques, le sport est l’activité privilégiée de la jeunesse. Très encadré, il peut donc être utilisé au moment de la croissance de l’enfant puis, à l’adolescence, pour valoriser les capacités individuelles. Il intervient en complément de l’instruction, avec cette idée que l’éducation du corps peut avoir une influence sur le mental (« Un esprit sain dans un corps sain ») et sur la moralité (apprentissage du rapport à l’autre). C’est le sport scolaire.
la santé. Très vite, dès l’Antiquité, des hommes se sont attachés à étudier le fonctionnement du corps humain et la diététique afin d’améliorer les performances de l’athlète. D’où une concurrence entre ces premiers entraîneurs et les médecins, ces derniers, chargés du corps malade, voulant étendre leur pouvoir sur le corps en bonne santé. C’est le sport hygiène, ou le sport rendement maximum.
la préparation militaire. Dans les temps anciens, les capacités physiques des individus ont été développées par des exercices afin d’augmenter l’efficacité des hommes à la guerre dans le corps à corps ou le combat rapproché (courses, pugilats, lancers). C’est le sport « bataillon de Joinville », pépinière d’athlètes et d’éducateurs scolaires qui ont longtemps freiné le développement du sport en France en transposant à l’école (éducation) l’esprit préparation militaire.
Ces quatre aspects du sport ont chacun leurs partisans :
responsables religieux ou politiques pour le divertissement ;
éducateurs, enseignants pour l’éducation ;
médecins pour la santé ;
militaires pour la préparation au combat.
Chacun de ces groupes de pression essaie d’attirer à lui le sport et surtout le sportif.
Le sportif
Les médecins « performeurs » poussent le sportif à l’exploit à tout prix (y compris au moyen de drogues), ce qui choque l’éducateur. Celui-ci tente de valoriser chez le sportif le fair-play, l’esprit sportif, la relation sociale à l’autre, ce qui surprend le préparateur militaire, pour qui l’autre est nécessairement un ennemi. L’homme politique, le responsable local ou l’industriel poussent le sportif à amuser le public sur un stade pour combattre son oisiveté et sa tentation à passer de longs moments au café. Ce qui désespère le médecin « hygiéniste », parce que tout cela se termine quand même au café, lors de la troisième mi-temps, ou à l’hôpital en cas de bagarre de supporters ou même de sportifs...
Le sportif doit être tout à la fois un individu sain physiquement et moralement, courtois comme un aristocrate et agressif comme un guerrier, aimant à la fois s’amuser « pour l’honneur » et s’exténuer sur des appareils médico-torturo-musculaires... Il doit apprécier la nature et les tests électroniques, respecter l’autre et n’en faire qu’une bouchée, être fou et bien élevé, tout cela en même temps... Chacun voit dans le sportif son idéal humain. Pour les uns ce sera le plus sain, pour les autres, le mieux élevé, pour les troisièmes, le plus agressif et pour les derniers, le plus sympa. Or toutes ses qualités sont un peu contradictoires. Le sport et les sportifs n’ont donc pas fini de faire parler d’eux.
La boxe
Et la boxe, là-dedans ? Contrairement à d’autres athlètes, le boxeur intéresse peu les scientifiques. Alors qu’on répète souvent que la boxe est très exigeante sur le plan physique, il est vrai que la victoire tient moins au physique pur qu’à d’autres qualités que les appareils des scientifiques ne peuvent pas tester. On associe rarement la boxe à la « santé » (Voir Médecine). La boxe ne serait-elle donc pas vraiment un sport ?
En tant que discipline de combat, la boxe est plutôt associée au domaine « préparation militaire » et à sa petite soeur, « l’éducation » (Voir Insertion). Quant au « divertissement »... On dit qu’on joue au football, on entend rarement dire qu’on joue à la boxe. La boxe ne serait-elle donc pas un sport ?Les boxeurs sont-ils des sportifs ? La boxe pieds-poings est-elle davantage un sport que la boxe anglaise ? La réponse à ces questions n’est pas simple. Si celui qui cherche à développer ses capacités physiques et à les exploiter dans des compétitions est un sportif, alors le boxeur est un sportif. Mais n’est-il pas plutôt un guerrier qui aurait dévié de son chemin ?Certains adeptes des techniques pieds-poings ne cherchent-ils pas à acquérir des moyens d’auto-défense (Voir Bagarre de rue) ? Autrement dit, ils assignent à leur pratique un objectif qui n’est pas proprement sportif mais correspond à une nécessité de leur vie quotidienne.
Alors, non, la boxe n’est peut-être pas un sport. C’est quelque chose d’autre, qui a l’apparence d’un sport, qui se pratique comme un sport, qui a des règles comme le sport, dont les pratiquants sont comme des sportifs, mais qui n’est pas un sport. Non, c’est autre chose. Mais quoi ?...