La boxe traverse le temps. C’est certainement l’activité la plus ancienne et, en même temps (ou pour cette raison), elle est constamment moderne (Voir Temps). La photographie de la boxe, en tant que reflet de ce sport, n’échappe pas à cette particularité. La photographie de la boxe est elle-même figée dans le temps, pour l’éternité sans doute...
Pose
Le boxeur peut vous montrer son portrait et celui de son arrière-arrière-grand-père boxeur, c’est le même. Même cadrage, même lumière tranchante, même pose. L’archéologue peut vous sortir une poterie, une fresque du troisième millénaire avant Jésus-Christ, le boxeur y est représenté de la même manière : attitude guerrière, petite tenue (nudité même, pour les « ancêtres ») et mains recouvertes (de bandes, de lanières, de gants).
Face à l’appareil, instinctivement, le boxeur reprend la même attitude, et le photographe doit s’incliner. Là encore, le boxeur impose son temps. Le photographe s’apprête à saisir l’éternité, autant dire qu’il n’est rien face au sujet qu’il photographie. Car lui, pauvre photographe, appartient modestement, piteusement, au présent. Il se peut que le boxeur, pour faire plaisir au photographe (en fait pour le piéger, car un boxeur ne se soumet jamais vraiment), se plie à la demande du photographe et adopte une autre pose. Malheur ! Sur le cliché, le photographe a saisi un homme, mais le boxeur, lui, a disparu. Envolé ! Comme par magie.
La boxe s’appuie sur l’agressivité, laquelle s’exprime par l’attaque ou la menace (Voir Miroir). On ne peut donc photographier que l’une ou l’autre, montrer le boxeur en combat ou dans une attitude menaçante. Le montrer dans n’importe quelle autre situation fait sans doute un joli cliché, mais pas un cliché de boxe. Il faut choisir : faire de la photographie ou photographier la boxe.
Inutile, en combat, de chercher (par vice ?) à saisir un perdant, un soumis, un homme blessé. Sur le cliché apparaîtra toujours l’autre, le vainqueur, le dominant, l’homme fort, présent à côté, un peu en retrait ou devant l’objectif. On n’y peut rien, c’est ainsi, on ne photographie pas un boxeur, on photographie quelque chose. Depuis la nuit des temps, les boxeurs, eux, le savent...
Noir et blanc
La couleur saisit l’apparence, le noir et blanc saisit la vérité. L’œil humain contient plus de cellules sensibles à la lumière que de cellules sensibles à la couleur. Et, de toute façon, les couleurs sont une pure création du cerveau qui "interprète" ainsi la réflexion de la lumière sur la matière. C’est seulement la nuit que nous voyons en noir-et-blanc. Est-ce parce qu’elle plonge ses racines dans la nuit des temps que la boxe s’accommode mieux du noir et blanc que de la couleur ? Est-ce parce qu’elle incarne l’affrontement des opposés qu’elle se traduit mieux par le contraste entre ombre et lumière ? Peut-être... La photographie de boxe, en tout cas, aime les ombres marquées, les contrastes forts, les densités extrêmes. Elle aime les rings très éclairés et les arrière-plans plongés dans les ténèbres. Face à l’objectif, le boxeur vous en envoie « plein la gueule » - justement sa gueule, sa beauté blessée, et son regard qui ne vous lâche pas. Moins la photographie met en œuvre d’artifices, plus elle est fidèle à son sujet.
La photographie de boxe (il fallait s’y attendre) est le résultat d’un combat. La rencontre entre un photographe et un boxeur est sans surprise : l’un des deux devra s’effacer devant l’autre... Il est facile de deviner lequel...