On connaît le problème : le sportif ne peut atteindre un haut niveau de performance sans une spécialisation poussée, ce qui l’amène à éliminer de sa vie tout ou partie des éléments qui pourraient le conduire, à la fin de sa carrière sportive, à exercer une autre activité professionnelle.
Mais la reconversion ne se pose pas qu’en terme professionnel. Qu’il soit professionnel ou amateur passionné, le sportif a, depuis son enfance, vécu au rythme du sport, au rythme donc des entraînements, des compétitions, des performances, des défis quotidiens. Le sport a modelé son emploi du temps et sa psychologie. Il l’a amené en pleine lumière, l’a fait voyager, lui a fait rencontrer toutes sortes d’individus. Souvent aussi le sport a attiré à lui l’argent et les médias. Son ego a été particulièrement mis en avant. Et du jour au lendemain, il tombe dans l’anonymat et éprouve une douleur intérieure intense, comme si quelque chose en lui l’avait lâché en route, comme si sa « vraie personnalité » était morte. Il a vécu dans le regard des autres, et ce regard faisant désormais défaut, il a l’impression de ne plus exister.
Son organisme, moins sollicité, se transforme ; ses énergies, qu’il avait accumulées et qu’il utilisait dans un but bien précis, se cherchent une nouvelle voie. Les réflexes qu’il avait acquis se trouvent désormais sans utilité. Son esprit de compétition n’a plus l’occasion de s’exercer dans la vie quotidienne. C’est tout son être qui connaît le problème de la reconversion. Aussi bien son être physique que son être mental. Il fonctionnait sur le mythe du héros (Voir cet article) ; il va devoir maintenant coopérer à la vie sociale. S’il s’est consacré au sport c’est que, bien souvent, tout le reste l’ennuyait, et le voilà face à cet ennui.
Le champion doit admettre qu’il va mener deux vies en une seule. La reconversion se vit alors comme la réincarnation chère aux Orientaux : mener une nouvelle expérience, qui profite des enseignements acquis dans la « vie antérieure », sans chercher à retrouver ce qui en a fait le sel. Suivre aussi sans doute la voie naturelle de la vie. Il y a un âge où les capacités physiques sont à leur niveau maximum et où l’être est entièrement tourné vers l’extérieur et les plaisirs qui sont associés au corps, à la relation sociale, à l’espace, au mouvement. Puis vient la quarantaine, le point central de la vie. L’être est au milieu du parcours, le corps ne répond plus comme avant, les valeurs culturelles ou spirituelles prennent le relais des valeurs physiques en déclin. C’est une autre vie qui commence, exploitant de nouvelles ressources. Chaque âge a ses plaisirs, et si l’époque actuelle vit sur le mythe de l’éternelle jeunesse - que le sportif incarne parfaitement - il paraît curieux qu’on cherche à prolonger artificiellement un état qui a eu son heure, se privant ainsi des délices cachés de l’âge.
Peut-on avancer que le sportif qui arrête sa carrière à 30 ou 32 ans a « surconsommé » du physique, de la vie, au point de se retrouver dans la même situation psychologique que l’homme de quarante ans ? Pourquoi pas ? En boxe, la reconversion pose un problème particulier, qu’on retrouve sans doute dans tous les sports de combat où l’investissement de la personnalité dans la pratique sportive atteint de rares profondeurs. C’est tout l’être qui est boxeur - boxeur quand il mange, boxeur quand il dort, boxeur quand il marche. Le boxeur se rapproche ainsi du guerrier qui, s’il peut accepter de réduire son activité physique avec l’âge, reste guerrier jusqu’à la fin de sa vie. Si l’organisation militaire lui permet de poursuivre sa carrière de guerrier sous d’autres formes, l’organisation du sport, et singulièrement de la boxe, ne permet pas cette poursuite. La reconversion la plus courante est celle d’entraîneur, mais c’est considérer que le boxeur n’est qu’un individu passionné par un certain sport. Certains boxeurs peuvent sans doute trouver un épanouissement dans une telle activité. D’autres seront poursuivis par le regret de ne plus « aller à la bataille », de ne plus remonter sur le ring.